Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Pour qui l’ignorerait encore, ou l’aurait oublié, le nom de notre université (et par extension de notre ville) perpétue et honore la mémoire du lieutenant-colonel Robert Monckton, l’un des chefs militaires en charge de piéger, rassembler et déporter les Acadiens de la région de Chignectou tandis que ses troupes mettaient feu à leurs villages en 1755. Les Acadiens étaient alors perçus comme une menace à la paix britannique par le gouverneur Charles Lawrence. Cette menace tenait au fait que les Acadiens refusaient de prêter serment d’allégeance à la couronne britannique et désiraient demeurer neutres dans l’éventualité d’un (énième/inévitable) conflit franco-britannique.
Ça fait que c’est ça qu’est ça : aujourd’hui encore la métropole que l’on pourrait qualifier de la plus acadienne en Acadie porte le nom d’un général anglais, qui, même s’il a soi-disant déporté « sans enthousiasme » des Acadiens, ne les a pas moins déportés.
L’Histoire a le don de nous démontrer qu’on peut difficilement juger du haut du présent les décisions du passé : quand le nom Moncton fut donné à cet endroit (autrefois appelé Le Coude et fondé par des colons Français aux environs de 1735), le fait est que la région était une possession britannique, l’Acadie ayant été cédée par la France par le Traité de Paris en 1763 (Historica).
En 1766, onze familles d’origine allemande venues de la Pennsylvanie, (Moncton) y sont installées pour former un nouveau village, qui sera nommé Monckton.
Ce qui fait que notre présence et notre résilience, ici en tant que francophones et en tant qu’Acadien.ne.s, est en somme un doigt d’honneur bien senti à l’endroit du porte-nom de notre ville et à son patron le gouverneur. Des deux bras, même.
Et pour qui se demanderait ce qui advint du K dans le nom de la ville, la légende veut que ce soit le fruit d’une erreur administrative au moment d’en écrire la constitution (Moncton).
Bref, la plus grande université francophone hors-Québec, et la première université acadienne, porte le nom d’un lieutenant britannique, et anglophone, chargé de la déportation des Acadiens. L’ironie, des fois, hein.
Encore là, sans un solide sens de l’humour, on serait quoi aujourd’hui?
Et pourquoi le cours d’histoire, me demanderez-vous? Bonne question : de un, il me semble nécessaire de reprendre l’exercice de temps en temps, pas dans le but d’attiser les feux de la rancune, mais bien de préserver ceux de l’identité. C’est le genre de truc qui s’oublie bien, l’identité, si on n’en prend pas soin. Comme un jardin qu’on oublie de désherber.
Et de deux, un mouvement de protestation a marqué les célébrations du 150e du Canada, fondé sur le problème de célébrer un pays qui - aux yeux des Premières Nations particulièrement, mais d’autres leur font écho – fut fondé sur un génocide culturel.
Des guerres aux Nations autochtones – alliés ou ennemis des peuples colonisateurs – à la création des réserves, en passant par les écoles résidentielles, tous les efforts furent déployés pour donner au Canada un visage aussi homogène que possible en marginalisant (à défaut de pouvoir l’éradiquer) la culture autochtone. Le fait est que c’est un élément important de la création du Canada, et que ça rend bien des gens mal à l’aise. Et je dis mal à l’aise pour rester poli. Mais répétons-le au besoin : juger hier du haut d’aujourd’hui n’est jamais simple.
Ce qui n’est pas dire que ça puisse excuser ni justifier quoi que ce soit, tout de même.
On a vu récemment, par exemple, une bande de bozos mal avisés armés du Red Ensign (le drapeau colonial du Canada), cue le banjo quelqu’un SVP, déranger une manifestation pacifique tenue par un groupe d’Autochtones à Halifax. Le groupe était assemblé près de la statue du général Cornwallis – fondateur de la ville – qui prête son nom à bien des endroits de la métropole. Cornwallis payait les colons pour les scalps d’Amérindiens qui lui étaient apportés (Radio-Canada).
Et les colons (au sens moderne du terme) étaient là pour célébrer la colonisation. Ils se disaient membres des « Proud Boys », une organisation de soi-disant chauvinistes occidentaux aux allures de fraternité (CBC). Belle affaire, toi.
Question : si ce n’est possible d’être fier de qui nous sommes qu’en crachant sur ceux qui sont autre chose, on célèbre quoi, au juste?
Et puis, plus dans notre domaine, la fédération étudiante de l’Université Ryerson, à Toronto, a fait publiquement la demande que l’Université change son nom en raison de l’héritage qui y est associé (Globe and Mail). Egerton Ryerson, une figure importante dans la création du système d’éducation ontarien, entre autres, était également en faveur d’un système d’écoles séparées pour les Autochtones.
Évidemment, ce n’est pas tout le monde qui est d’accord avec la demande de RSU (qui fait partie d’un ensemble de 11 demandes ((Facebook), à commencer par certains membres de l’exécutif (Globe and Mail). La position de Ryerson en faveur des écoles résidentielles n’est d’ailleurs pas niée par l’Université – sans en faire la célébration, s’entend – et fait l’objet d’une brève mention sur le site web de l’institution (Ryerson).
L’Université affirme que c’est justement l’usage qui fut fait des idées d’Egerton Ryerson pour créer les écoles résidentielles qui renforcent l’engagement de l’institution à œuvrer au maintien de relations respectueuses avec les communautés autochtones.
Malgré les protestations, les célébrations du 150e ont le potentiel de marquer le début d’une nouvelle étape dans le processus de réconciliation avec les Premières Nations. Il est clair que l’opportunité de porter ces enjeux auprès du grand public a été saisie, et même s’il ne fait pas de doute que certaines plumes ont été froissées, l’histoire de notre pays n’est pas que castors batifolant avec allégresse dans des fontaines de sirop d’érable. Vient un temps où il faut appeler un caribou un caribou, prendre le homard par les pinces, et brasser la poutine.
L’histoire a longtemps été une science de vainqueurs. Mais de plus en plus, les vaincus ont voix au chapitre. Pensez-y une seconde : si le Canada était toujours une colonie britannique, on serait quoi, nous Acadiennes et Acadiens, aux yeux de l’histoire? Hey, pas besoin de regarder plus loin que la dernière série documentaire de la CBC sur l’histoire du Canada pour trouver une piste de réponse (Acadie Nouvelle).
« Canada : The Story of Them ». Petit soufflet fort bien senti, maître Rino.
On ne peut que faire notre part. Et sur ce point, il faut saluer l’Université de Moncton qui a récemment travaillé avec la FÉÉCUM pour que soit hissé le drapeau des nations Mi’kmaq sur le campus, dans le cadre de la journée nationale des Autochtones. À Edmundston, le drapeau de la Première Nation malécite du Madawaska a été hissé. Ces gestes sont symboliques, évidemment, mais lourds de sens (UMoncton). Il faut s’appuyer, grandir ensemble si on veut continuer d’exister.
Parce qu’on connaît ça, refuser d’exister en silence, à Monc(k)ton.
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.